
Une mémoire de l’anéantissement, paroles de Gazaouis survivants
Combattre les animaux (Yoav Gallant, ministre de la Défense jusqu’en 2024), faire de Gaza un abattoir, effacer Gaza de la surface de la terre. Telle a été la rhétorique du gouvernement israélien qui lui a valu une accusation de génocide devant la Cour Internationale de Justice des Nations Unies.
Samar Yazbek, journaliste et militante syrienne, s’est entretenue durant sept mois avec des survivants gazaouis évacués au Qatar pour raisons médicales. Elle leur a posé une seule question : « Que faisiez-vous le 7 octobre 2023 ? » Qui sont ces gens ? Quelle était leur vie avant ? Après ? Survivre pour témoigner. Ce que disaient les survivants de l’Holocauste.
Loin de tout discours politique, de toute guerre médiatique, ce recueil de vingt-six témoignages donne la parole à ces hommes, à ces femmes, jeunes ou moins jeunes. Ceux que l’on dit Palestiniens, Gazaouis, sont avant tout des personnes, chacune avec son histoire, sa famille, ses rêves, l’inné et l’acquis. La guerre, le blocus, ils sont nés avec, pour la plupart d’entre eux. Mais cette guerre-là est d’un nouveau type, à coups de drones tueurs, d’obus empoisonnés, de ceintures de feu. Là où l’armée israélienne déclare chercher des combattants du Hamas, elle abat surtout des gens sans histoire, des familles entières.
Nous avons vu des images sur la toile, des enfants portant sur leur dos des enfants plus petits, en pleurant. Des gamins affamés tendant une gamelle vide. Des corps brûlés. Des parents fous de chagrin.
Laissons la parole à quelques rescapés.
Nasma, 41 ans, mère de cinq enfants, Khan Younès : Le matin du 10 octobre, la famille prend son petit déjeuner avant le départ des enfants pour l’école. Le bombardement vise son immeuble. Les enfants sont brûlés, l’une des jumelles est morte, le fils aussi, la benjamine a le crâne ouvert. Les chats, les chiens dévorent la charogne. Partout autour, de la fumée noire et des corps pulvérisés. Ici une tête d’enfant échouée sur des gravats, là des membres qu’on enterre dans des sacs plastique.
Jihan, 30 ans, mère de deux enfants, Khan Younès : elle a étudié la littérature arabe à Gaza, menait une vie agréable en famille. Le 18 octobre, les drones planent autour de chez eux, une bombe leur tombe dessus. Elle avait préparé à dîner. Oui, les enfants ont mangé « au moins sont-ils morts le ventre plein ». Elle-même doit être amputée d’un membre inférieur. « Au départ, je ne me rendais pas compte que nous subissions un génocide, je pensais que ce serait une guerre comme une autre ». Voir des cadavres devient banal, la profanation des tombes pas l’armée israélienne l’est moins. La tombe du mari de Jihan est intacte. Pas celle de ses enfants. Où sont leurs dépouilles ? Comment faire un tel deuil ?
Mohamad, 16 ans, camp de Jabaliya : le 5 novembre, l’adoslescent se trouve avec ses parents, professeurs, ses frères et sœurs et tante et cousins. Un missile frappe l’habitation. Aucun survivant, sauf Mohamad, durement touché. Il dira avoir oublié beaucoup de choses sauf une : naguère, il voulait devenir vétérinaire.
Saja, 23 ans, Deir al-Balah : elle dit avoir été avant octobre 23 la femme la plus heureuse du monde. Très aimée de son mari fin cordon bleu, très amoureuse de lui. Le couple a eu deux filles, dont l’une est née à ce moment-là. « Mon mari est mort le ventre vide. À chaque fois que j’y pense, j’ai le cœur brisé ». Sa fille âgée d’un an et demi et sa cadette âgée de deux semaines n’ont pas survécu. « L’armée israélienne a tué Yacoub et ses deux filles. Elle a assassiné l’homme le plus gentil au monde et le plus extraordinaire des maris ».
Des enfants privés d’une vie normale. Des vies amputées, empoisonnées. Gaza, un cimetière. Comment se reconstruire après ça ?
Samar Yazbek, Une mémoire de l’anéantissement, les Gazaoui.e.s racontent, Paris, Stock, 328 pages, 22.90.
