
Roméo et Juliette en Corée du Nord selon Nicolas Gaudemet
Nicolas Gaudemet est écrivain et professionnel de la culture et de la technologie. Son premier roman, La Fin des idoles, a été récompensé par le Prix Jules-Renard 2019 et adapté en série audio.
Pyongyang, Kaesong, Nicolas Gaudemet y est allé quelques jours pour mieux ancrer ce roman en Corée du Nord. Visites touristiques, films, récits, l’auteur s’est imprégné de la culture locale. Ce qui l’a marqué ? Ce que l’on nous montre et ce que l’on ne nous montre pas. Ces bouches muettes, il fallait leur donner une voix. Et quelle voix ! Ce Roméo et Juliette à Pyongyang est un voyage à lui seul. Le titre doit son nom à une rengaine apprise à l’école : « Nous n’avons rien à envier au reste du monde/ notre foyer demeure sous la protection du Parti du Travail/ nous sommes tous frères et sœurs ».
Plongée directe dans ce pays limitrophe de la Chine, le plus militarisé au monde et gouverné par un état totalitaire. Ce roman, c’est l’histoire de deux adolescents déchirés entre leur loyauté envers le parti et leur furieuse envie de vivre. Mi Ran, fille d’un cadre du parti, et Yoon Gi, issu d’une famille de la classe prolétaire (son père est mort dans une collision entre le train du Général et un autre train), se rencontrent lors d’une exécution publique. Il y a plus romantique, non ? Ils font le mur la nuit pour se retrouver, bravant le froid et les contrôles, un vélo pour unique destrier.
Immersion totale dans un monde fermé où se côtoient sans s’atteindre les classes supérieures et les classes inférieures, où le train blindé du cher Général roule à 60 kms/heure, où l’auto-critique en public et la délation se disputent la vedette. La peur d’exprimer une opinion domine. Et même la peur qu’autrui lise dans nos pensées… schizophrénie d’un système érigé en modèle de vertu. Il y a Ligue de la jeunesse et il y a le comité du peuple. Mais aussi, en contre-poids, la cooptation et les pots de vin.
Qu’est-ce que le mariage, dans de telles conditions ? « Un assemblage de camarades via une entremetteuse ». C’est ainsi que les parents de Mi Ran se font « aimés ». Et c’est le destin que lui réserve son père. Les amoureux projettent de poursuivre leurs études ensemble à l’université. Mais ça, c’est dans le meilleur des mondes. Car Mi Ran est promise au neveu du secrétaire national du Comité du peuple… et si fuir ensemble en Chine était la solution ?
Nicolas Gaudemet, Nous n’avions rien à envier au reste du monde, Paris, l’Observatoire, 2025, 176 pages, 21 €.