Rapport de l’UNESCO sur l’industrie du livre en Algérie : Entre satisfaction officielle et étouffement réel

Dans un rapport publié par l’UNESCO sur le secteur du livre en Afrique sous le titre « L’industrie du LIVRE en AFRIQUE » et, plus précisément dans le chapitre consacré à l’Algérie, il n’est pas inutile de se demander si le document est basé sur une étude sérieuse ou il s’agit d’une fiction. En effet, contrairement aux statistiques officielles qui affichent une croissance soutenue avec 1 715 maisons d’édition recensées en 2023, la réalité du secteur du livre algérien révèle une tout autre vérité. Car, en vérité, il existe moins de 20 maisons d’édition actives en Algérie, toutes les autres étant des écrans de fumées crées par des proches des cercles dirigeants pour capter les aides publiques à des fins sans nul rapport avec le livre. De plus, le contrôle politique et la censure systématique transforment ce qui devrait être un espace de liberté intellectuelle en un terrain miné pour les éditeurs et auteurs.

L’exclusion comme arme de contrôle culturel

Le Salon International du Livre d’Alger (SILA), présenté comme vitrine de la diversité éditoriale, illustre parfaitement cette censure institutionnalisée. En 2024, plusieurs exclusions emblématiques ont marqué l’événement :Les Éditions Frantz Fanon, maison d’édition spécialisée dans l’histoire et la littérature critique, ont été exclues du SILA 2024 puis fermées en janvier 2025 par les autorités pour une période de six mois pour avoir publié un livre sur le patrimoine juif algérien. Koukou Éditions a également été bannie du salon pour des « publications contraires au règlement », selon les organisateurs. Les Éditions Gallimard, fleuron de l’édition francophone dans le monde, ont été interdites en raison de la présence du roman « Houris » de Kamel Daoud sur leurs stands. Les Éditions Tafat ont subi le même sort, victimes elles aussi de cette vague de censure.

Le chantage à l’ISBN : Un outil de contrôle politique

L’attribution des numéros ISBN, censée être un processus technique neutre, s’est transformée en instrument de chantage politique. Les éditeurs se voient contraints de soumettre leurs catalogues à un contrôle préalable, transformant l’Agence algérienne ISBN en garde-fou idéologique plutôt qu’en service administratif. Cette situation crée un climat d’autocensure préventive où les éditeurs anticipent les interdictions, bridant ainsi la créativité et la diversité des publications.
Des événements littéraires sous haute surveillance
Si le rapport de l’UNESCO vante 14 548 événements littéraires en 2023, il omet de préciser que nombre d’entre eux sont organisés sous stricte surveillance politique. Les conférences, débats et rencontres d’auteurs font l’objet d’un contrôle préalable des intervenants et des sujets abordés.Plus d’une trentaines de cafés littéraires, notamment le prestigieux Café Littéraire de Béjaia, le Café littéraire de Bouzeguene et celui d’Aokas, ont été fermées et les rencontres en librairies, souvent oreganisées sous contrôle, sont désormais quasiment impossibles. Les trois les librairies algériennes les plus actives en la matière, La librairie Cheikh de Tizi-Ouzou, La librairie du Tiers-Monde d’Alger et la Librairie Gouraya de Béjaia, sont définitivement interdite de toute activité littéraire. De plus, s’agissant du Centre national du livre, cité comme moteur de la politique du livre en Algérie, sans président et sans décret d’application depuis sa création en 2009, il ne joue aucun rôle dans le secteur du livre.

Un secteur privé muselé malgré sa croissance numérique

Bien que les chiffres officiels fassent état de plus de 1700 maisons d’édition privées, la réalité montre un secteur constamment menacé. Les éditeurs évoluent dans ce que le directeur des Éditions Frantz Fanon, Amar Ingrachen, décrit dans un entretien accordé au journal El Watan en 2019, comme « un climat de désordre total ». Cette insécurité juridique et politique décourage les investissements privés dans le secteur et pousse de nombreux éditeurs vers l’autocensure ou l’exil de leurs activités.
Les « politiques publiques volontaristes » mentionnées dans le rapport de l’UNESCO (prix unique, exonérations fiscales, TVA réduite) deviennent en réalité des outils de contrôle sélectif. Les subventions et aides publiques sont conditionnées par l’alignement idéologique, créant un système à deux vitesses où seuls les éditeurs « conformes » bénéficient du soutien étatique. Le programme de financement des projets éditoriaux par le ministère de la Culture s’apparente ainsi davantage à un mécanisme de sélection politique, de chantage et de soumission qu’à un véritable dispositif de soutien à la création littéraire.

Les défis structurels amplifiés par la répression

Au-delà de la dépendance aux importations (26,7 millions USD en 2023), le secteur du livre algérien fait face à des défis structurels aggravés par le climat répressif :
• Fuite des talents : De nombreux auteurs et éditeurs choisissent l’exil ou cessent leurs activités
• Appauvrissement éditorial : La censure limite la diversité des publications et appauvrit le débat intellectuel
• Désaffection du public : Les lecteurs se détournent d’un marché censuré et prévisible
• Isolation internationale : Les exclusions et interdictions nuisent à la réputation de l’Algérie dans les cercles littéraires internationaux ;
Face à cette fâcheuse réalité que les maquillages des rapports inspirés par les bureaucrates du secteur tentent de voiler, un sursaut de conscience s’impose. Car, les statistiques officielles masquent une réalité autrement plus préoccupante. L’Algérie, qui traverse une période charnière de son histoire, a besoin de réunir les élites du pays autour d’un projet clair, rigoureux et ambitieux. Or, tout projet sérieux et susceptible de mobiliser les élites nationales ne peut se faire que dans un climat de liberté dont le secteur du livre est l’un des plus importants indicateurs. Le livre n’est pas un luxe dont peut se passer une nation, c’est une nourriture intellectuelle indispensable pour la survie des pays, c’est le vecteur à la fois des idées et des rêves de progrès.

 

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