
« Où les étoiles tombent », autopsie d’une chute et d’une élévation
Cédric Sapin-Defour est l’auteur de Son odeur après la pluie, roman phénomène publié en 2023, traduit en vingt-cinq langues, adapté en bande dessinée en mai 25 et bientôt au cinéma. Peu remarqué par la critique à sa sortie, il a conquis le cœur des libraires et le bouche à oreille a fait son succès. L’odeur du chien mouillé, c’est celle que les propriétaires d’animaux affectionnent et qu’ils reconnaissent entre mille. Plus que l’histoire d’un maître ou d’un chien, au cœur de ce texte si fort, c’est le lien d’amour qui les unit, à la vie, à la mort. Un lien qui s’enracine dans la terre et les pierres, l’écriture de l’auteur étant minérale et organique, à fleur de montagne.
Pour la rentrée littéraire 2025, Cédric Sapin-Defour, professeur d’éducation physique et passionné de montagne, signe avec Où les étoiles tombent un roman magistral sur la force et la fragilité de la vie. Et de l’amour. Trois cent quatre-vingt-treize pages taillées à la serpette, muscle saillant.
Le 12 août 2022, Mathilde, sa compagne à la ville comme en montagne, s’apprête à sauter dans le vide en parapente, au bout d’une vallée italienne. Son mari Cédric, auteur et narrateur, la précède lors de ce vol. Tandis qu’il plane au-dessus des prés, il voit la voile de Mathilde s’affaisser au loin. Les secondes sont longues quand on ne sait pas, quand on ne peut pas aller plus vite que le vent ni plus vite que les secours. C’est en italien qu’il apprendra plus tard de la bouche du médecin que sa femme, si elle n’est pas morte, est polytraumatisée. Tétra ou para, on ne sait si elle remarchera.
« Ni hymne à la vie ni ode au destin, ce roman se veut physique, comme l’est la randonnée en montagne ou le parapente. Un livre physique qui décortique étape par étape la réappropriation d’un corps cassé en mille morceaux et de la pulsion de vie soutenue par l’amour du conjoint. »
Construit comme un journal de bord, le cœur serré, suspendu aux nouvelles, ce texte, page après page, met en parallèle l’instant T et le lieu de l’accident et le début d’une reconstruction entre les murs blancs de l’hôpital. Comme si, en mélangeant les cartes du temps passé et celles du présent, il était possible d’influencer le futur. Tant il est vrai que le compagnon indemne rumine et ressasse, et entretient la culpabilité du survivant. Et s’il n’avait pas insisté pour voler ce jour-là ? Et s’il avait sauté après elle ? Se lève-t-on le matin avec l’intuition que l’on peut vivre les dernières heures du reste de sa vie ? Aurait-on moins d’intuition qu’un chien ?
Ni hymne à la vie ni ode au destin, ce roman se veut physique, comme l’est la randonnée en montagne ou le parapente. Un livre physique qui décortique étape par étape la réappropriation d’un corps cassé en mille morceaux et de la pulsion de vie soutenue par l’amour du conjoint. Car entre Cédric et Mathilde, mariés depuis vingt ans et heureux parents de trois chiens, c’est à la vie, à la mort. Ils sont faits du même bois. Amour inconditionnel ? Et si Mathilde, touchée au cerveau, n’était plus tout à la fait la même au sortir de ce drame ? Peut-on aimer qui on ne reconnaît pas ? Il y aura un avant et un après. Dans cet après, l’horizon s’appelle CHU, rééducation, ergothérapie, orthophonie, fauteuil, béquilles, déambulateur. Cédric repartira-t-il en montagne sans Mathilde ? Rien de moins sûr. Ce roman pose la question de l’accident, mais aussi de la maladie et de la vieillesse. Jusqu’à quel point on se marie pour le meilleur et pour le pire ?
Et puis il y a l’amitié, dans ces centaines de pages. Ces amis venus de loin pour écouter, entraîner dans le flux de la vie, malgré tout. Les héros de ce roman sont assurément l’amour et l’amitié. Grâce à cela, on n’est pas voyeurs d’un drame survenu en temps réel. Pudeur, malgré les détails cliniques, à mettre aussi sur le compte de l’écriture de l’auteur, toute en juste distance. Le genre de roman qui paradoxalement fait du bien.
Cédric Sapin-Defour, Où les étoiles tombent, Paris, Stock, en librairie le 13 août 2025.