
« Musulmans, osez penser ! » – Réponse à la mystification laïciste de Mohamed Sifaoui
Il est des pamphlets qui, sous le vernis du courage, dissimulent l’ombre du conformisme. Le livre de Mohamed Sifaoui, Musulmans, osez la laïcité !, présenté comme un cri de raison, relève davantage du catéchisme républicain que de la réflexion libre. Qu’un homme qui se revendique ouvertement sioniste vienne expliquer aux musulmans ce que serait leur salut spirituel n’a rien de « courageux » : c’est la vieille arrogance coloniale réhabilitée en prose journalistique.
Une laïcité sanctifiée, sans mémoire ni dialectique
Sifaoui présente la laïcité comme une lumière descendue du ciel républicain pour libérer les croyants des ténèbres théologiques. Or, l’histoire dit autre chose : la laïcité n’a jamais été une neutralité absolue, mais une construction politique forgée dans le sang des guerres de religion, dans un contexte chrétien européen. L’ériger en modèle universel, applicable à l’islam comme on greffe un organe étranger, relève d’une méconnaissance profonde de la genèse du concept.
La République française, si prompte à prêcher la neutralité, n’a jamais cessé de produire une religion civile, avec ses dogmes, ses martyrs et ses prêtres médiatiques. Quand Sifaoui invoque la laïcité pour purifier l’islam, il rejoue inconsciemment le geste de Jules Ferry civilisant les indigènes : « pour leur bien ».
Le Coran, matrice de la liberté spirituelle avant la lettre
L’érudition ne consiste pas à citer Atatürk ou Bourguiba, mais à revenir aux sources. Le Coran, texte du VIIᵉ siècle, pose déjà les fondements d’une liberté de conscience radicale : « Pas de contrainte en religion » (2:256), « À vous votre religion, à moi la mienne » (109:6). Ces versets ne sont pas des concessions : ils expriment une architecture métaphysique du libre-arbitre.
L’islam n’a donc pas besoin de « laïcité » pour penser la liberté : il a déjà institué, dans son texte même, le principe de séparation entre la foi et le pouvoir coercitif. Ce sont les États — non la religion — qui ont trahi cet esprit. Croire que l’émancipation passe par l’imitation de la modernité occidentale, c’est ignorer que la spiritualité islamique, dès le IXᵉ siècle, avec al-Fârâbî, Ibn Rushd et Ibn Khaldûn, a produit des philosophies rationnelles bien avant Voltaire.
« Musulmans, osez la laïcité ! » de Mohamed Sifaoui, un manifeste de clarté et de courage
Laïcité ou laïcisme ? La frontière du fanatisme inversé
Le livre de Sifaoui ne défend pas la laïcité, il la sacralise. Il ne sépare pas le spirituel du temporel, il remplace l’un par l’autre. Ce laïcisme militant, nourri d’un anticléricalisme pavlovien, ne libère pas l’esprit : il en change simplement de geôlier.
En prétendant protéger les femmes, il les instrumentalise. En parlant d’égalité, il pratique la condescendance. Le voile, réduit à un symbole d’aliénation, devient sous sa plume un marqueur idéologique occidental : la femme « libérée » est celle qui épouse le code vestimentaire de Paris, non celle qui choisit selon sa conscience.
C’est oublier que des femmes musulmanes, érudites, médecins, chercheuses, voilées ou non, incarnent aujourd’hui une modernité multiple, irréductible aux caricatures françaises.
Le piège du « vivre ensemble » imposé
Le slogan du « vivre ensemble » n’a de sens que s’il est symétrique. Or, dans le discours de Sifaoui, c’est une injonction à l’assimilation. On exige du musulman qu’il « ose la laïcité », jamais du laïc qu’il ose la spiritualité. L’un doit se renier, l’autre s’autoproclamer mesure universelle. Ce déséquilibre trahit non pas une quête de paix, mais une volonté d’hégémonie culturelle.
L’érudition véritable ne consiste pas à citer l’histoire occidentale, mais à comprendre la pluralité des civilisations. Dans l’Espagne andalouse du Xe siècle, les musulmans, les juifs et les chrétiens vivaient sous un système de coexistence — certes imparfait — fondé sur la reconnaissance de l’altérité. Cette expérience précède de mille ans la loi de 1905.
Conclusion – Oser la transcendance, pas la soumission
Le vrai courage n’est pas d’« oser la laïcité », mais d’oser la pensée. D’oser interroger les dogmes, y compris ceux de la République. La liberté ne réside pas dans la substitution d’une foi à une autre, mais dans la capacité d’un peuple à définir sa propre modernité, à partir de son propre génie.
Sifaoui prétend éclairer les musulmans ; il les infantilise. Il croit les libérer ; il les occidentalise. La véritable émancipation est spirituelle, non institutionnelle. Ce que l’islam a de plus précieux — sa quête d’unité, de justice, de dignité — ne se trouve pas dans les ministères, mais dans les cœurs éveillés.
Alors, non : les musulmans n’ont pas à « oser la laïcité ».
Ils ont à oser la lucidité, celle qui reconnaît que la République française n’est pas la fin de l’histoire, mais une expérience contingente parmi d’autres.
Et que la lumière divine n’a pas besoin de l’autorisation d’un préfet pour briller.