« Désire-moi » de Valérie Rodrigue, un roman sur le chaos du monde et l’amour total

Désire-moi est un roman pas comme les autres. Ce qu’il dit explicitement est très important ; ce qu’il ne dit pas l’est davantage.

Aydan est un homme sans histoire. Originaire d’Algérie, c’est à Paris, une ville qu’il aime et dont il a épousé la musique, les habitudes, les silences, les fantasmes, les caprices et les exigences, qu’il vit. Il travaille dans les assurances et son métier consiste à compter les accidents et les décès non pas pour les prévenir ou les éviter mais pour en tirer le plus de bénéfices possible. Il n’en est pas fier mais il faut bien gagner sa vie. Avec son épouse Sonia, les choses ne se passent pas mieux que sur le plan professionnel. Ils se sont connus dans un cinéma et, avant même qu’il apprenne grand-chose sur elle, celle-ci l’a présenté à sa famille et l’a demandé en mariage. Bien que surpris, Aydan n’a pas résisté aux avances de Sonia. N’ayant ni père ni mère, aucune liaison en perspective, il ne voit pas d’inconvénient à s’engager dans une relation conjugale. Après tout, il faut bien se marier un jour. La démarche de Sonia lui parait parfois bizarre mais il ne s’en fait pas des soucis car, au fond de lui, il est convaincu que son épouse n’agit pas par calcul mais par instinct civilisationnel. C’est une affaire de culture et Sonia, Ouzbek, fait partie de ces femmes qui inscrivent le moindre de leurs comportements dans une logique de perpétuation d’une tradition, de sauvegarde d’un patrimoine et de reproduction d’une famille, d’une fratrie, d’une tribu.

Bien que le projet le heurte parfois, lui semble trop grand pour ses épaules frêles et son esprit plutôt minimaliste, Aydan n’y oppose aucune réticence. Bien au contraire, cela l’aide à mettre du mouvement dans sa vie et consent à aimer assidûment Sonia et à lui consacrer toute son attention. Au début, les choses vont plus ou moins bien. Le couple arrive même à faire un enfant, Vlad, et à faire de cet enfant le moteur de leur quotidien et une fenêtre ouverte sur l’avenir. Mais très vite, le lien entre Aydan et Sonia se dilue dans une routine mortelle. Aydan commence à se voir réduit par sa femme à un instrument de travail qu’elle utilise pour exécuter un plan échafaudé à son insu et dont il ne connait ni les tenants ni les aboutissants. Le couple ne se parle presque plus, n’a plus de sexualité, il se désagrège progressivement, jusqu’à se transformer en un banal contrat de colocation entre un homme qui s’efforce d’apprendre à vivre et une femme dont la vie semble tracée de bout en bout à la règle.

Pour ne pas sombrer dans le désespoir, Aydan cherche une bouée de sauvetage. Il ne va pas tarder à la trouver : Croquer la pomme, un site d’adultère où il se met à chercher une alternative au naufrage en cours de son mariage. Il n’a pas l’intention de divorcer ; en tant qu’Algérien pétri de culture berbère, il considère la famille comme quelque chose de sacrée. De plus, Sonia et Vlad donnent de l’épaisseur à sa vie, un ancrage aussi bien dans le présent que dans l’avenir. Mais il veut des bras hospitaliers, une douceur féminine capable de lui faire oublier l’angoisse d’exister, d’être sur une route sans vraiment savoir où aller. Malgré une peur permanente de l’inconnu, il se laisse embarquer et, au fur et à mesure de ses aventures, il se rend compte qu’il ne se connait pas vraiment et que le seul moyen de se connaitre est de se frotter aux autres, sans orgueil et sans préjugés. C’est Lydie qui va le convaincre de tout cela, non pas à travers des discours philosophiques mais par son art de vivre tendre et primitif.


Dans ce roman aux allures de thriller psychologique, Valérie Rodrigue, une autrice qui écrit en français et qui vit en France mais qui porte un monde multiple dans sa peau et dans son imaginaire grâce à ses appartenances diverses, nous offre un très beau voyage dans la vie de couple et dans les dédales de l’infidélité conjugale. En effet, tout en déployant une connaissance subtile des cultures ouzbek, berbère et française à travers des scènes et des dialogues tout en nuances, elle explore les grandeurs et les faiblesses de la relation homme-femme dans toute sa complexité. Qu’il soit officiel ou infidèle, le couple est, selon elle, comme la civilisation ; il a une espérance de vie qui est sans cesse mise à l’épreuve par les contingences du monde, les fluctuations du désir et les injonctions de l’inconscient.

Le titre du roman n’est pas un extrait des différents dialogues entre Aydan et Sonia, Aydan et Lydie ou Aydan et les autres femmes qu’il a connues. Non, « Désire-moi », n’est pas non plus la manifestation d’une domination, il est encore moins un ordre donné par un homme ou une femme à un partenaire dont on sollicite un investissement charnel plus constant. « Désire-moi », c’est le cri d’une âme assoiffée de vie et qui ne demande qu’a être désaltérée ; c’est l’appel au secours d’un être qui, pris dans le chaos du monde, cherche la paix dans l’amour total.

Valérie Rodrigue, Désire-moi, Paris, éditions L’Harmattan, 2025, 20 €

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