« Abderrahmane Mira, un destin brisé » : Le travail de mémoire de Tarik Mira

Avec son second ouvrage publié aux éditions Tafat, Abderrahmane Mira, un destin brisé, Tarik Mira relève un défi de taille : raconter la vie de son père, Abderrahmane Mira, héros de la guerre d’indépendance algérienne, sans tomber dans les pièges de l’hagiographie. Cette entreprise délicate nécessite un équilibre subtil entre l’émotion filiale et la rigueur historique.

L’auteur adopte une méthode d’historien, croisant sources diverses, témoignages de compagnons d’armes, archives militaires et mémoires vivantes. Cette approche lui permet de dresser un portrait authentique, révélant un homme complexe, ni idéalisé ni diabolisé, mais profondément humain face aux tourments de l’histoire.

Le livre s’enrichit d’une préface émouvante de Danièle Maoudj, poétesse et enseignante corse d’origine kabyle, qui apporte une dimension universelle au récit. Le prologue, particulièrement bouleversant, révèle le traumatisme originel de l’auteur : la perte de sa mère quelques heures après sa naissance, drame qui imprègne silencieusement toute la narration et rend hommage aux « personnages périphériques » oubliés de l’histoire.

Portrait d’un révolutionnaire : de l’engagement à l’héroïsme

Né en 1922 en Kabylie sous le joug colonial, Abderrahmane Mira incarne la figure du révolutionnaire intègre. Son parcours politique débute au PPA, se poursuit au MTLD, puis trouve son accomplissement dans la lutte armée du FLN-ALN. Mira ne se contente pas d’être un simple militant : il devient un organisateur, structurant les maquis de sa région natale, d’Ath Melikeuche à Haizer, tissant des liens stratégiques avec des figures légendaires comme Amirouche Aït Hamouda.

Le récit détaille avec précision les moments clés de son engagement : sa participation à la préparation du congrès de la Soummam en 1956, moment décisif mais aussi révélateur des futures fractures du mouvement national ; sa mission périlleuse à la tête de la Wilaya VI après la mort de Si Chérif, expédition marquée par de lourdes pertes ; son exil forcé en Tunisie où, blessé mais déterminé, il occupe un poste de contrôleur aux frontières tout en réclamant son retour au combat.

L’ouvrage aborde également l’épisode terrifiant de la Bleuite, cette opération d’intoxication menée par les services français qui sema la paranoïa dans les rangs de l’ALN. Mira y joue un rôle crucial en contribuant à stopper cette spirale meurtrière, démontrant son discernement et son autorité morale.

Un legs mémoriel pour l’Algérie contemporaine

Au-delà de la simple biographie, cette œuvre constitue un véritable acte de mémoire. Tarik Mira refuse de figer son père dans une posture héroïque statique, préférant restituer sa complexité humaine, ses doutes, ses contradictions, mais aussi sa foi inébranlable en la justesse de sa cause. Cette approche nuancée évite tout manichéisme et donne une profondeur saisissante au personnage. L’épisode du chien, offert par un résistant espagnol au commandant Mira et qui, par un concours de circonstances mais aussi grâce à la générosité naturelle de l’officier de l’ALN, donne une autre dimension des révolutionnaires algériens qui étaient décrits comme des « fellaga », voire des terroristes. En effet, après l’adoption d’un uniforme pour tous les soldats et dirigeants de l’ALN au congrès de la Soumman, Abderrahmane Mira s’est fait photographier en tenue officielle avec certains de ses camaardes de combat et en compagnie de ce chien. Ce faisant, il a réussit une opération de Communication digne des plus grands stratèges militaires des armées les plus sophistiquées du monde. Car, à travers une simple photographie, qui allait faire le tour de toute la presse de l’époque, Abderrahmane Mira a réussi à donner de l’ALN l’image d’une armée régulière, loyale et humaniste. La présence d’un chien à coté de militaires décrits comme des « terroristes » a rehaussé l’image de l’ALN tant auprès de ses membre qu’auprès de ses ennemis.

Dans Abderrahmane Mira, un destin brisé, l’auteur accomplit un double geste : filial d’abord, en redonnant vie à une figure paternelle trop souvent réduite aux nécrologies officielles ; historique ensuite, en éclairant un pan essentiel de l’histoire nationale algérienne. Dans une Algérie encore en quête de ses repères mémoriels authentiques, ce livre comble un vide essentiel.

Abderrahmane Mira, un destin brisé s’impose comme une contribution majeure au patrimoine historique algérien. L’œuvre transcende le simple témoignage pour devenir une pierre angulaire de cette Histoire algérienne qui reste à écrire : exigeante, plurielle et profondément humaine. En ressuscitant la mémoire d’un homme tombé les armes à la main, Tarik Mira offre aux générations futures un modèle de courage et d’intégrité, ancré dans une humanité bouleversante qui dépasse les légendes pour toucher à l’universel.

Tarik Mira, Abderrahmane Mira, un destin brisé, Béjaia, éditions Tafat, 2025

 

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