
« Je ne vis qu’à travers les interactions avec les êtres vivants » (Cédric Sapin-Defour, écrivain)
Auteur de Son odeur après la pluie, succès littéraire qui s’est écoulé à 650 000 exemplaires, Cédric Sapin-Defour revient avec Où les étoiles tombent, un récit poignant sur l’accident de montagne qui a bouleversé sa vie et celle de sa compagne Mathilde. Ancien professeur d’éducation physique en Savoie, il a quitté son métier par solidarité avec Mathilde, contrainte d’arrêter de travailler suite à ses blessures. Dans cette interview, l’écrivain livre avec une sincérité désarmante les coulisses de son écriture, née au chevet d’hôpital de sa compagne. Ses réponses révèlent un homme habité par la culpabilité mais aussi par un amour indéfectible, qui refuse d’édulcorer la réalité de cette « année d’hospitalisation ». Entre introspection douloureuse et éloge de la beauté du monde, Sapin-Defour dessine le portrait d’un couple uni face à l’adversité. Ses mots simples et justes témoignent d’une philosophie de vie ancrée dans le contact avec la nature et les êtres vivants, où l’écriture manuscrite devient un acte de résistance contre la dématérialisation du monde.
Comment va Mathilde aujourd’hui ? Quand a-t-elle su que vous écriviez un livre sur elle ?
Mathilde va dans la direction qui a toujours été la sienne : la joie de vivre, la détermination. Elle marche, comprend, interagit. En dépit des douleurs chroniques et de la difficulté à exprimer ses pensées. Comme moi, elle est attachée à la précision, à la justesse du propos. Elle a su que j’écrivais à son sujet dès qu’elle a repris connaissance. Je noircissais des cahiers à son chevet, pour n’oublier aucun détail. L’idée du livre est venue plus tard. Sans son accord, il n’aurait jamais vu le jour. Je ne voulais rien passer sous silence à propos de cette année d’hospitalisation. Édulcorer aurait été trahir.
Quel est le lien entre Son odeur après la pluie et ce nouveau texte ?
Le lien, justement. Et l’amour. Je ne vis qu’à travers les interactions avec les êtres vivants, l’humain, l’animal, la nature. Je suis un poulet élevé en plein air. Je vis à l’extérieur, en forêt, autour du lac, au pied de la montagne. Le chien, c’est l’animal que je respecte dans son identité et singularité. Son odeur après la pluie m’a permis de revivre des moments avec Ubac.
Qu’est-ce qui vous a le plus touché dans le succès de Son odeur après la pluie ? (650000 exemplaires, un poche, une bédé). Qu’attendiez-vous en publiant ce texte ?
Ce qui m’a le plus touché, c’est l’émotion. Pas le transport lié aux chiffres, mais aux rencontres avec les lecteurs. Quelqu’un qui prend sa voiture, fait cent kilomètres, se rend au festival, attend une heure livre en main, qui dit merci. Chaque rencontre est unique. Les gens ont tous une histoire avec un animal. Ce qui intéresse tout un chacun, c’est l’intime, ce que l’on a au fond de soi.
Quels retours avez-vous déjà au sujet de Où les étoiles tombent ?
Il y a les articles, les émissions, les éloges ; j’avais peur qu’on lise à côté. Or, les messages que je reçois parlent de joie, d’amour et de lumière. Je voulais écrire un livre qui s’envole vers un ciel dégagé. Qui souligne la beauté, mais aussi la fragilité de l’existence. Enfin, ce livre figure sur la liste du Renaudot catégorie essai. C’est agréable, même si mon bonheur dépend davantage d’un coucher de soleil.
C’est l’histoire d’un accident. Vouliez-vous, en l’écrivant, exorciser la peur de devenir veuf ou rendre la mémoire à Mathilde ?
Rendre la mémoire à Mathilde. Le 12 août 2022 au soir, je lui écrivais une lettre dans le camion, sur le parking de l’hôpital, suspendu à des nouvelles. Si elle meurs, je meurs, me disais-je. Je lui ai écrit pour la maintenir en vie. Bien sûr, on est en plein dans la pensée magique, mais que faire d’autre à ce moment-là ?
Pourquoi vous sentiez-vous coupable d’avoir voulu voler, ce jour-là ?
Elle ne sentait pas les choses ce jour-là. Pressentiment ? En vingt-cinq ans de montagne ensemble, il y a eu des jours sans de part et d’autre, mais nous nous motivions mutuellement. J’ai un peu insisté, parfois. Et quand quelqu’un de votre meute a un accident, forcément, vous ne pouvez pas incriminer le vent ou la pente, vous vous sentez coupable. Il faut cohabiter avec cette culpabilité. Désormais, la montagne, c’est fini pour elle et pour moi. Pas question de repartir sans elle. Elle fait de la rando l’hiver, je vais en forêt.
C’est surtout une histoire d’amour, avec la montagne. Racontez-nous votre premier coup de foudre avec l’alpinisme.
J’habitais dans le Nord de la France. Mes parents étaient de grands sportifs, sans être des montagnards chevronnés. Lorsque j’ai eu huit ans, ils m’ont emmené à Chamonix, monter à l’aiguille du Midi. J’ai vu les alpinistes, les cordes, les piolets. Fascination. Comme marcher sur la lune.
Êtes-vous optimiste, pour transmettre autant de vitalité ?
Il y a tant de raisons de désespérer de sa propre fortune lorsqu’un accident vous tombe dessus. Au début, on est sidéré, indifférent aux malheurs du monde. Puis la vie continue. J’ai conscience du privilège d’avoir la vie que j’ai. Nous vivons en Savoie. Nous étions tous deux professeurs d’éducation physique dans le même collège. Elle a dû arrêter de travailler. Là aussi, j’ai marché dans ses pas. J’ai démissionné. Ce serait cruel de continuer à exercer un métier qui n’est plus le sien.
Quelle est votre routine d’écriture ? Votre premier lecteur-trice ?
Mathilde est ma première lectrice, ma boussole, mon garde-fou. Sa lecture est honnête et objective. Je n’ai pas de routine ni de fétichisme. J’écris dans les bars, dans les trains, toujours sur des carnets. Dans un second temps, je passe sur Word. Mais d’abord, le stylo, la main, le papier. On en revient au corps, à l’énergie qui génère la pensée. J’aime ce qui est manuscrit. D’abord.
Cédric Sapin-Defour, Où les étoiles tombent, Paris, Stock, 2025, p. 400 ; 22.5 € (À voir au théâtre du Lucernaire, Paris 6e, jusqu’au 9 novembre 25)