« Moi, Europe » de Lenka Hornakova-Civade : Écrire l’Europe à partir d’une question

Tout commence dans une gare, où humant le parfum enivrant du café, Europe s’invite au voyage. Mais le voyage qu’elle s’apprête à faire ne ressemble pas à un déplacement ordinaire d’un endroit vers un autre. Non. Le voyage qu’Europe entend faire ne demande ni un billet de train ni un billet d’avion. C’est à bord d’une métaphore multidimensionnelle qu’Europe entreprend un voyage au fond d’elle-même.

En effet, à cheval sur la mythologie, la géopolitique et la vie banale de tous les jours, Moi, Europe de l’écrivaine franco-tchèque Lenka Hornakova-Civade nous invite à revisiter la trajectoire d’un continent qui, pour réel qu’il soit, n’en respire pas moins comme un être humain avec tout ce que ce dernier possède comme force et comme fragilités : l’espoir, l’ambition, la fatigue, la peur, la déception, etc. Pour l‘écrivaine, l’Europe n’est pas seulement un lieu, une construction idéologie, un bloc politique, une monnaie, une population, et un rêve. Elle est aussi un individu tantôt fier tantôt honteux, tantôt optimiste tantôt au bord du désespoir, un individu qui vacille constamment entre la lassitude et l’idéalisme. Dans ce récit foisonnant, elle nous dit ce que l’Europe est mais aussi ce qu’elle n’est pas.

En effet, face au grand risque de dogmatisation que coure le continent européen, de plus en plus ancré dans la certitude de sa force et de son éligibilité définitive à la stabilité et à la paix, Lenka Hornakova-Civade ose le doute. Elle doute non pas de la capacité de l’Europe à se prémunir contre ses propres démons et contre les assauts de ses adversaires et ennemis, mais de l’assurance excessive dans laquelle se drape le continent et qui l’empêche de se poser les bonnes et parfois indispensables questions, y compris sur sa propre survie. À travers son récit Moi, Europe, elle affirme et réaffirme son refus de fermer la parenthèse du débat et son droit inaliénable à toujours s’interroger.

C’est visible dès les premières pages du livre : Lenka Hornakova-Civade ne résiste pas à la radicalité dans ses interrogations : Et si l’Europe cessait d’être ? se demande-t-elle. Parfois, il faut se jeter dans l’abîme pour en connaitre le fond. En nous proposant une aventure, certes angoissante par endroits, au cœur de l’Europe, l’autrice a réussi à transformer une évidence en question et perturber le confort des réponses toutes faites dans lequel on a tendance à se complaire. Elle le fait non pas pour le plaisir de subvertir ou pour polémiquer mais par lucidité : il s’agit de toujours s’interroger pour maintenir les consciences en éveil.

Moi, Europe est un récit qui navigue entre géographie et histoire, silence et prosopopée. Sans être ni flatteur ni moralisateur, il nous donne à lire l’Europe non pas seulement comme un territoire, une population ou un imaginaire mais comme un être exilique, un conte philosophique, une promesse belle mais fragile dont il faut sans cesse prendre soin et qu’il n’est pas possible de tenir sans les peuples européens, et encore moins contre eux.

Lenka Hornakova-Civade, Moi, Europe, -Femme, déesse, continent, Paris, éditions  Reconnaissance, 2025, 124 pages, 17 €

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